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#5 La Musique, les mythes et les interdits comment les Lobi protègent leur environnement

· 30 min read
UDC: 78.031.3(6)
COBISS.SR-ID 258613772

Received: Nov 13, 2017
Reviewed: Jan 3, 2018
Accepted: Jan 10, 2018

#5 La Musique, les mythes et les interdits comment les Lobi protègent leur environnement [Music, Myths and Rituals: Traditional Societies of African Lobi Peoples and Environmental Issues]

Hien SiéUniversité Félix Houphouët-Boigny-Abidjan, Côte-d’Ivoire, Afriquehiensie2002@yahoo.fr

Citation: Sié, Hien. 2018. "La Musique, les mythes et les interdits: comment les Lobi protègent leur environnement." Accelerando: Belgrade Journal of Music and Dance 3:5

Abstract

The practice of music in societies with oral tradition, in general, and particularly in black Africa, was rooted in the mythological beliefs, concerning the body of myth stories retold among people in those societies and interdictions/taboos and totems, which do not have grounds in logic and reason, that attempt to explain the nature of the human beings and their surrounding. Being the crucial elements that structure and regulate all sphres of life, as well as the manifestations and consequences of religious beliefs, those were the attempts to describe and explain the origins and fundamenatal values of a given culture and /or religious considerations of the people in the given society. If those extra-musical features were influential and inspiring enough, then that made it possible to establish the relations, i. e. the allusions to mythology and rituals which could be expressed in the music. When thinking about this particular fact, then it must be allowed that the music is likely to provide a primary document for understanding the sysems of thoughts and for teaching us lessons on certain facets of the life of those societies/cultures. In particular, it can be used as a means to learn about their relationship to the environmental, natural occurances and the humanity, the fact the researchers have not been sufficiently focused on when research about the music. This research aims to reflect on how well musical art has contributed to addressing that goal, namely, based on the concrete examples drawn from the music of Lobi peoples/tribes, the author is trying to shine a light on how these peoples, consciously or instictively, convey an often complex set of problems, and communicate with an immediacy and universality that often sit outside of common language, particularly the environmental problems they encounter in their existence.

Keywords:

music, myths, taboos and totems, environment, Lobi people


Résumé:

La pratique de la musique dans les sociétés de tradition orale, en général, et particulièrement en Afrique noire, est entourée de divers mythes et interdits dont les fondements et raisons relèvent souvent des considérations d’ordre culturel et/ou religieux des peuples. Si ces dimensions extra musicales permettent d’établir les relations que chaque peuple entretient avec ses musiques, il n’en demeure pas moins qu’elles sont susceptibles de fournir des enseignements sur certaines facettes de la vie de ces peuples, notamment leur relation à l’environnement, que les recherches n’ont guère suffisamment abordé sur le terrain musical. Cette communication est une réflexion qui vise, à partir d’exemples concrets tirés de l’art musical lobi, à montrer comment ce peuple règle, de façon consciente ou tacite, les problèmes environnementaux qu’il rencontre dans son existence.

Mots-clés:

musique, mythes, interdits, environnement, Peuple Lobi

Introduction

La musique, produit de société est surtout un art environnemental. L’Homme puise dans son environnement immédiat et souvent lointain les matériaux et ressources nécessaires à la production musicale, d’où la diversité de comportements musicaux que l’on constate à travers le monde. En Afrique, cette réalité se veut caractéristique de la vie musicale des différents peuples. Et si la plupart des chercheurs qui s’intéressent au domaine musical, en se fondant sur les diversités géographiques n’hésitent pas à classer la musique de ce continent par rapport aux spécificités géo spatiales des peuples du continent, c’est que l’environnement est devenu un élément, voire un indicateur de l’identité des musiques. Et ce n’est pas par hasard que certains travaux sur la musique africaine insistent sur la démarcation entre par exemple la musique de l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale, entre l’Afrique centrale et de l’est, entre l’Afrique de l’est et australe, quand ils évoquent la musique de l’Afrique noire. De même, la distinction entre la musique au sud du Sahara et celle du Maghreb répond à ce souci de prise en compte de la dimension environnementale dans la création et consommation de la musique africaine.

De ce qui précède, on peut constater que l’être humain étant en étroite relation avec son environnement, toute modification ou altération de ce dernier ne peut qu’avoir des incidences sur le comportement de l’homme. En clair, l’Homme en tant qu’acteur transformateur, destructeur ou développeur de l’environnement agit de facto sur les attributs et les effets que son environnement immédiat lui offre pour sa vie. Qu’elles soient positives ou négatives les actions de l’Homme sur l’environnement influent sur la vie musicale des peuples. Il est donc nécessaire de se saisir de cette question de l’environnement pour mener des réflexions sur les rapports de l’homme à l’environnement pour voir comment les producteurs et acteurs musicaux dans nos différentes sociétés traditionnelles pensent et réorganisent leur vie artistique voire musicale en tenant compte de la problématique de l’environnement dont les conséquences semblent exposer l’Humain à des limites irréversibles.

C’est dans cette perspective de compréhension des moyens que s’offre l’Homme pour continuer à bénéficier des privilèges de l’environnement au sens générique du terme, que nous avons décidé d’observer de près le comportement musical d’un peuple, les Lobi, pour voir si cette question les préoccupe, mais surtout comment ils la résolvent. La communauté Lobi, à l’instar de nombre de sociétés africaines, étant moins bavarde sur le contenu et la théorie qui sous-tendent ses pratiques musicales, on ne s’attendra pas à avoir des réponses, voire des vérités données par les acteurs eux-mêmes. Nous questionnerons certains comportements socioculturels et religieux observés dans la pratique musicale de ce peuple et essayerons d’en tirer des conclusions en regard de la problématique de l’environnement qui nous intéresse ici. Pour nous, le rapport dialectique que ce peuple établit entre la musique et son univers d’existence, peut être une contribution à la protection de l’environnement. En effet, les mythes et les interdits sont légions dans l’art musical lobi. Et si l’on peut penser que l’objectif premier visé par les défenseurs de ces valeurs n’est pas la protection ou la sauvegarde de leur environnement, des arguments tendant à leur conférer un véritable impact sur la pérennisation de l’environnement dans lequel ce peuple vit semblent plausibles.

La réflexion que nous menons ici est le résultat d’une observation participante mais aussi d’une série de questionnements sur la musique lobi. Elle se veut une contribution à la compréhension des valeurs tacites qui se dégagent de l’analyse de la relation musique et environnement au sein de cette communauté, comparable à celle de bien d’autres sociétés traditionnelles en Afrique. En s’inscrivant dans les perspectives de l’Unesco citées par M. P. Ballarin, et S. Blanchy (2016, 11) sur les savoirs écologiques et les modes de gestion de l’environnement, il semble possible de trouver matière à justification des nombreux interdits et mythes que l’on rencontre dans la musique lobi.

Clarification des concepts clés

La Musique

Selon Fela Sowande (1970, 60) qui définit la musique traditionnelle africaine en ces termes:

La musique est l’organisation du son, matériau brut, en systèmes structurés et codifiés qui parlent et plaisent à l’ensemble de la société dans laquelle cette structuration a eu lieu; systèmes qui concernent directement et intimement l’image du monde de l’expérience vécue de cette société considérée comme un ensemble homogène, et qui sont acceptés comme tels par cette société.

Christophe Wondji (1986, 11), quant à lui estime qu’en Afrique, la chanson est à la fois littérature et musique, parole et danse, discours et rythme, pensée et expression corporelle. Développant son idée sur les dimensions de la chanson et donc de la musique en général, dans la société africaine, Wondji va hisser la chanson au rang des médias les plus sûrs de connaissance des peuples africains. Car «elle témoigne des préoccupations, des idées et sentiments en cours dans la société». En clair, la musique reflète la vie de nos peuples. Cette idée sera d’ailleurs corroborée par François Bensignor (2005, 125-134) qui affirme que:

La musique joue un rôle déterminant dans les civilisations africaines où l’oralité fait figure de pilier fondateur. Héritiers de traditions souvent très raffinées, les musiciens africains créateurs d’aujourd’hui sont de ce fait parmi les détenteurs d’éléments essentiels constitutifs de leurs cultures respectives.

Parmi ces éléments constitutifs de la culture africaine, on trouve en position centrale, les mythes et les interdits.

Les mythes

Concept polysémique, le mythe peut être abordé sous diverses acceptions. En littérature, Egbuna Modum (1977), citant Andre Dabezies („In mythe comme forme de l‘imaginaire“) précise que celui-ci:

que le mythe est récit qui a pris valeur de symbole pour une collectivité donnée, c’est-à-dire, un récit qui a assuré une valeur mythique; qu’en littérature le mythe est délié de tout rite, ce qui fait que le mythe littéraire est par définition un mythe repensé individuellement; que toutes les versions du mythe en littérature ne sont pas a priori égales: elles sont en effet plus ou moins privilégiées selon la profondeur de l’émotion éprouvée par le poète.

Malgré cette définition, Egbuno, pense:

au contraire, qu’il a acquis désormais un sens plus positif, se présentant comme ce qui ‘’fournit des modèles pour la communauté humaine et confère par là même, signification et valeur à l’existence’’. (Ibid.)

Pour Luc Benoist (2004, 100-101) le mythe se caractérise par sa polysémie et la multiplicité de ses applications. Mythe et rite sont en effet les expressions complémentaires d’une même destinée, le rituel étant son aspect liturgique et le mythe sa réalisation à travers les épisodes d’une histoire vécue.

Toute activité humaine essentielle et qui répond à des besoins devient ainsi thématique et itérative. Le mythe se présente comme un exemple logique d’action, de passion ou de spiritualité, dont les buts poursuivis permettent de distinguer les trois voies de réalisation métaphysique que sont l’action, l’amour et la connaissance[...] Dans tous les cas, la logique des mythes est dominée par une mentalité archaïque qui persiste dans l’attitude et la conscience des civilisés, heureux de pouvoir projeter leurs espoirs, leurs craintes ou leurs passions dans le personne d’un héros.

Les interdits

Laura Levi Makarius (1974, 10) estime que:

Le système d'interdits mis en place dans les sociétés tribales par la médiation des représentations subjectives de leurs membres fournit, sur le plan objectif, la réglementation nécessaire à assurer la cohésion sociale. En vertu de la dialectique même de son développement, il engendre son contraire, la violation d'interdit qui s'imposera à la pratique quand les avantages qu'elle promet pèseront d'un poids plus lourd que les dangers qu'elle représente. Elle ne peut être le fait de l'ensemble des membres de la société sans que le système d'interdits et par voie de conséquence l'ordre qu'il soutient, ne s'effondrent, entraînant la dispersion du groupe. Elle doit être l'acte exceptionnel accompli par un individu ou un nombre restreint d'individus qui, par cela, deviennent eux-mêmes exceptionnels.

Sur les interdits dans la société lobi Amazone (Faso culture: Totems et interdits en pays lobi. 17, Février 2017.) nous précise que:

Comme dans la plupart des sociétés africaines, les totems et les interdits font partie des éléments fondamentaux qui structurent et régulent toutes les sphères de la vie, dans la société traditionnelle Lobi. Ils sont les manifestations ou les conséquences d’une croyance religieuse, celle de la religion traditionnelle Lobi.

En effet, les interdits sont les éléments médiateurs entre le sacré et le profane ; ils sont liés à une mise en œuvre particulière du monde, et visent à éviter des conséquences néfastes temporaires ou permanentes. Ils énoncent ce qu’il ne faut pas faire, mais pas ce qu’il faut faire. La transgression d’un interdit est censée déclencher des conséquences néfastes. Dans cette logique, si une ‘conséquence néfaste‘ se produit, c’est qu’à priori, un interdit a été transgressé. Toutefois certains interdits sont considérés plus graves que d’autres car ils conduisent inévitablement à la mort. Il s’agit par exemple, du vol, de l’adultère ou d’un meurtre commis au sein de la communauté villageoise par un membre. C’est pourquoi pendant la célébration des funérailles d’un adulte, on procède à l’interrogatoire de celui-ci principalement sur ces trois éléments. Il existe d’autres interdits considérés comme gravissimes tels la désobéissance au père, l’inceste ou plus largement, les unions entre les personnes ayant des liens de consanguinité, etc.

En fin de compte, qu’elle soit commise de façon délibérée ou pas, qu’elle soit dénoncée directement par l’auteur lui-même ou par une tierce personne (devin ou témoin oculaire), que l’auteur soit vivant ou déjà décédé, la transgression d’un interdit ou d’un totem doit, d’une manière ou d’une autre, être réparée. C’est la loi traditionnelle et tout le monde est tenu d’obéir. (Faso culture: Totems et interdits en pays lobi. 17, Février 2017.)

L’environnement

Selon Les définitions:

L’environnement est un système formé par des éléments naturels et artificiels interdépendants, lesquels ont tendance à être modifiés par l’action humaine. Il s’agit du milieu qui conditionne le mode de vie de la société et qui englobe les valeurs naturelles, sociales et culturelles qui existent dans un lieu et à un moment donné. Les êtres vivants, le sol, l’eau, l’air, les objets physiques fabriqués par l’homme et les éléments symboliques (tels que les traditions, par exemple) composent l’environnement. La préservation de l’environnement est primordiale pour le développement durable des générations actuelles et celles de l’avenir. Il y a lieu de mentionner que l’environnement renferme des facteurs physiques (tels que le climat et la géologie), biologiques (la population humaine, la flore, la faune, l’eau) et socio-économiques (le travail, l’urbanisation, les conflits sociaux) (lesdefinitions.fr/environnement).

Akila Nedjar-Guir (2005) dans son article intitulé „L’environnement, une notion polysémique“ , en donne les précisions suivantes:

Le terme environnement regroupe une telle multitude de significations qu’il est difficile de l’aborder sous une unique facette. S’il désignait au début du siècle le milieu naturel pour les biologistes, il a profondément évolué, et ce depuis les années 50, période à partir de laquelle les sciences naturelles ont accepté le paradigme des sociétés dans la notion d’écosystème. Cette double notion, l’une ancienne et scientifique et l’autre, récente et sociale, contribue à la complexité d’une analyse des formes que revêt le concept d’environnement dans nos sociétés occidentales. 1) D’une part, parce que l’environnement en tant que science est confronté à la difficulté d’évaluer le statut de l’homme par rapport aux autres êtres vivants ainsi que sa part de responsabilité dans les fluctuations des écosystèmes. 2) D’autre part, parce que ce concept d’environnement est appréhendé selon les représentations sociales des individus fortement dépendantes de leurs caractéristiques culturelles, sociales et géographiques.

Les travaux de recherche sur les forêts sacrés, bois sacrés et les sites naturels qui ont fait l’objet du Journal des Africanistes Tome 86 de 2016 s’appuient sur la relation entre ces entités spécifiques et l’environnement dans les sociétés traditionnelles. Environnement entendu ici au sens de patrimoine socio-politique, religieux et culturels qui permet entre autres de retracer l’histoire des migrations humaines, car elles sont des lieux de conservation de la mémoire collective», aux dires de Marie-Pierre Ballarin et Sophie Blanchy (2016, 12). Le respect des communautés traditionnelles pour cet environnement relèverait d’une organisation symbolique des relations de l’homme au monde. D’où:

l’existence des interdits qui sont généralement associés à un culte adressé aux ancêtres ou à d’autres entités invisibles, règlementant l’accès aux formations végétales et en font des lieux exceptés, affirment toujours, Marie-Pierre Ballarin et Sophie Blanchy. (Idem., 13)

Présentation du peuple Lobi

Les Lobi occupent un espace d’environ 13 000 km2, aux confins des républiques de Côte-d’Ivoire, du Burkina Faso et du Ghana. Au Burkina Faso, ils constituent environ plus de la moitié des 617 861 habitants que compte la région Sud-Ouest. Ils sont surtout concentrés dans les provinces du Poni et du Noumbiel. Toutefois, on les trouve aussi à l’extrémité méridionale de la province de la Bougouriba (Tiankoura, Iolonioro). Les Lobi ont pour voisins les Birifor, Dagara, Gan, Djan, Pougouli. Ils quittèrent le Ghana à la fin du XIXe siècle pour émigrer vers l’actuel Burkina Faso après avoir traversé le fleuve Miir (Mouhoun). Ils se sont divisés en deux groupes: les Lobi de la plaine (pabulodara) et ceux de la montagne (gongondara), en raison des collines qui avoisinent cette région (Père 1988, 55, cited in Yamba 2008). Bien qu’étant de redoutables guerriers, ce n’est pas toujours à mains armées qu’ils occupèrent les régions aurifères qui avoisinent Gaoua (nom dérivé de Gahuèra : route des Gan), localité où étaient déjà installés les Gan dont le territoire s’étendait de Gaoua à leur emplacement actuel (Loropéni, Obiré).

Puis, cette migration s’est poursuivie du Burkina vers la Côte-d’Ivoire où ils repoussèrent, plus au sud encore, les Koulango auparavant installés à Bouna. Retenons que certaines collines et grottes ainsi que des bosquets ou ruisseaux sont, au sein de cette population, l’objet d’interdits divers et des lieux sacrés (nosopar). En tant qu’espaces votifs, ils sont fréquentés momentanément par le groupe des initiés. Par exemple, l’immersion dans les eaux du fleuve Poni au cours des moments de dévotion est interprétée par les Lobi comme une séance de purification. Au cours des cérémonies funéraires, les veuves ou veufs subissent cette épreuve qui marque la fin du deuil. La parenté chez les Lobi n’a pas seulement une connotation biologique mais elle est surtout sociale.

Cette société est constituée des principaux matriclans suivants, appelés caar: Hien, Kambou, Da, Palé, Som. Chacun de ces matriclans possède des sous-matriclans dont le nombre peut atteindre la centaine. Les membres des différents matriclans entretiennent entre eux des relations d’alliance, d’entraide, de plaisanterie, de coopération mutuelle et de solidarité qui déterminent la vie sociale. La structure politique de la société lobi est dite acéphale. Toutefois, l’autorité y est assurée par des instances d’intervention diversifiées. (Yamba 2008) Ces clarifications faites, comment les mythes et interdits s’établissent-ils dans la musique lobi?

Les interdits et les mythes dans la musique lobi

Nous nous appuierons sur la musique de l’instrument identitaire des Lobi, le xylophone yolon bo (Figure 1), pour voir comment ces mythes et interdits se manifestent au sein de cette communauté dont la vie musicale est multiforme.

Au niveau de la flore

Le choix de l’arbre et son abattage. Les informations recueillies disent que le djiè, l’arbre utilisé pour la fabrication du yolon bo, le balafon des Lobi, ne peut être abattu que si l’on a la certitude qu’il mort, il y a environ une dizaine d’année et que si en plus, les génies en ont donné l’autorisation. Par ailleurs, cet arbre est interdit dans divers clans lobi comme bois de chauffe à usage donc familial.

Au niveau socioculturel

Le biir, genre musical très prisé par les Lobi est interdit pendant quelques mois de l’année et pendant l’initiation au djoro.

Le djoro, genre musical sacré: son exécution du djoro est exclusivement réservée à la sortie des néophytes et aux funérailles d’un initié. D’ailleurs, lorsque cette musique est pratiquée, les non-initiés sont obligés de se tenir à l’écart.

Le mythe du yolon bo: principal instrument des Lobi, on lui voue un culte presque divin. Propriété des génies et des ancêtres, réceptacle des pouvoirs mystiques, sa manipulation fait l’objet de divers interdits: ne pas verser de la bière de mil sur l’instrument, ne pas l’enjamber, ne pas le porter sur la tête d’un homme, entre autres.

Le mythe du musicien: en contact permanent avec les génies, le musicien est l’intermédiaire entre les membres de la société et les génies lors des funérailles d’un défunt. Pour ce faire, il est craint par la communauté.

Figure 1.  Le xylophone yolon bo

Figure 1. Le xylophone yolon bo. Photo de Hien Sié

L’impact des mythes et interdits dans la gestion et

Protection de l’environnement

Avant de préciser la place des interdits dans la protection de l’environnement chez les Lobi, inspirons-nous de ce récit de Laura Levi Makarius (1974):

Ce récit nous mène au cœur d'une de ces contradictions dans lesquelles s'enferme la pensée sous l’emprise de ses conceptions magiques. On craint le forgeron, porteur de danger sanglant et par conséquent on craint aussi le lien d'interdépendance avec lui. Mais quelque forme d'interdépendance devant nécessairement s'instaurer du moment qu'il y a échange entre le forgeron et la communauté, on s'avise qu'en fin de compte l'alliance de sang, sous la forme la plus complète et contraignante possible, tout en créant la redoutable interdépendance, offre une protection, un refuge, contre le danger que l'on craint, puisque ceux qui sont interdépendants ne doivent pas verser le sang les uns des autres. Ainsi le mythe souligne l'irrévocabilité de l'engagement pris par les deux parties: éviter à tout prix que le sang des uns ou des autres ne coule, pour quelque raison que ce soit. Le danger qui menace le contrevenant, comme le mythe le souligne, est bien de saigner incoerciblement jusqu'à ce que la mort s'ensuive. Paradoxalement, l'alliance, qui crée artificiellement le lien d'interdépendance, apparaît comme la sauvegarde contre le danger qui fait précisément craindre l'interdépendance.

Abondant dans le même sens, et justifiant le rapport que l’Homme Africain entretient avec son environnement, Gadou M. (2011, 186) affirme que:

Par ses activités économiques l’Africain traditionnel a exercé et exerce encore une violence sur la nature. Mais conscient de ce que des dieux immanents vivent dans la nature, les montagnes, les forêts, les eaux, il a mis en place des stratégies permettant d’éviter ou de prévenir les désordres qui pourraient résulter de cette violence nécessaire. En fait, l’Africain a le souci d’éviter la rupture entre lui et la nature, son partenaire divin et géniteur.

Ces réalités décrites sus-évoquées, peuvent concerner étroitement le domaine musical. En effet, la musique en tant que fait social, se conçoit comme une pratique qui intègre les activités dont l’homme a besoin pour son vécu quotidien. Il est démontré que dans les sociétés de tradition orale, il n’existe quasiment pas d’activité qui ne donne lieu à une manifestation musicale. Toute la vie de l’être humain, de la naissance à la mort, en passant par le mariage, les baptêmes, les initiations, est marquée par la production musicale. La création musicale, sa consommation et ses effets socioculturels n’est pas sans conséquences sur l’environnement dans lequel l’homme vit. En effet, au regard du lien étroit qui existe entre cet environnement et les croyances religieuses, l’on comprend aisément que la vie artistique, notamment musicale, soit assujettie à la diversité de mythes, d’interdits et de totems facteurs de régulation de la vie des Lobi. Selon Gadou (2011, 186):

Sacrifices, prières, obéissances aux interdits constituent ces stratégies. Il s’agit en somme de rites visant à conforter l’action ou la violence humaine à un ordre normatif que sont censés régir les dieux et les ancêtres, afin d’assurer la vie éternelle des sociétés et des humains.

Mais ainsi dit, comment ces restrictions dans le domaine musical participent-elles à la sauvegarde et à la pérennisation de l’environnement lobi?

A première vue, le respect ou l’obéissance aux mythes et interdits concoure à la manifestation de la reconnaissance des Lobi à leurs divinités, propriétaires des talents et puissances qu’elles inculquent aux artistes, de telle sorte à toujours bénéficier de leur bienveillance. Cependant, un autre regard peut nous faire admettre que le respect que les Lobi vouent à ces réalités mystiques vise à sauvegarder leur environnement multiforme. Et cela à plusieurs titres.

Au niveau de la religion

Les génies, les ancêtres, le sacré sont constamment présentés comme ceux-là qui accordent tel ou tel droit à un musicien lui donnant l’autorisation ou non de jouer tel genre ou tel répertoire musical. Le renvoi à ses esprits conforte le Lobi à la croyance à religion incarnée par ces esprits. Même si les Lobi croient en un Dieu unique, ils pensent que les génies et autres esprits sont les intermédiaires entre eux et ce Dieu. Le respect de ces forces occultes par les Lobi, n’est rien d’autre que l’expression de leur déférence envers ce Dieu qui est le garant de leur existence sur terra. Par conséquent, toute désobéissance à ces puissances entrainant le péril des contrevenants, c’est toute la communauté qui en prend un coup.

Au niveau de la flore

Le respect des rites liés au choix de l’arbre et à son abattage, permet de protéger et sauvegarder cette espèce d’arbre de plus en plus rare. Les informations recueillies disent que le djiè, l’arbre utilisé pour la fabrication du yolon bo le balafon de Lobi, ne peut être abattu que si l’on a la certitude qu’il mort il y a environ une dizaine d’année et que si en plus les génies en ont donné l’autorisation. De plus, cet arbre est interdit dans divers clans lobi comme bois de chauffe à usage donc familial. Que pouvons-nous en déduire, sinon que cette interdiction permet d’éviter la destruction massive de cet arbre. En effet, quand on considère le fait que dans le processus de fabrication de l’instrument, le facteur a recours à un haut fourneau pour fumer et sécher les billes de bois, on peut encore se demander pourquoi cette précaution de dix ans. L’usage de feu permet d’accélérer le séchage du bois et, de ce fait, cette balise temporelle, semble avoir ses fondements ailleurs. De fait, en poussant plus loin la réflexion, il semble qu’en imposant cette mesure aux fabricants, cela permet de s’assurer que l’arbre ne peut plus fleurir et être utile à l’écosystème. Son abattage ne pourra en rien être préjudiciable à l’environnement. Toutes choses qui participent des stratégies des Lobi pour la protection des espèces végétales essentielles à leur existence.

Au niveau socioculturel

Le biir (Example 1), genre musical très prisé par les Lobi est interdit pendant quelques mois de l’année et pendant l’initiation au djoro. Cela traduit le souci de ce peuple de grands cultivateurs d’éviter de tomber dans la distraction et d’oublier l’essentiel, c’est-à-dire, la culture du mil qui permet à la communauté de vivre. Le mil intervient dans diverses cérémonies et rites sacrés lobi. Et selon nos sources, lorsque la musique du biir est exécutée pendant sa culture, les plantes ne fécondent (produisent) pas ou se volatilisent. Le djoro, rite initiatique septennal ne doit pas être désorganisé par cette musique dont la danse captive l’intérêt de tous les Lobi, lorsque sa période d’exécution est ouverte. En interdisant son exécution pendant la période d’initiation, cela permet à toute la communauté Lobi de se consacrer à ce rituel essentiel dans la formation religieuse et socioculturelle du Lobi adulte.

Example 1. Le biir ondèfi.
(author's source)

Le djoro, genre musical

Musique sacrée, l’exécution du djoro est exclusivement réservée à la sortie des néophytes et aux funérailles d’un initié (Example 2). Cette restriction permet de préserver le caractère sacré de cette musique qui donne non seulement l’occasion aux danseurs d’exécuter les rythmes appris pendant la période d’initiation, mais aussi et surtout de revivre les péripéties de ce rite à travers la communication en langue secrète. D’ailleurs, lorsque cette musique est pratiquée, les non-initiés sont obligés de se tenir à l’écart. L’observation de cette interdiction permet au peuple lobi de préserver leur lien avec ce pilier essentiel de leur organisation socioculturelle et religieuse. C’est aussi par cet acte que les Lobi renforcent leur attachement à leur tradition et leur refus de se laisser influencer par la modernité qui caractérise les Etats modernes dans les Lobi sont contraints de vivre de nos jours.

Example 2. Le djoro ondèfi.
(author's source)

Le mythe de l’instrument

Instrument identitaire des Lobi, on lui un culte presque divin. Propriété des génies et des ancêtres, réceptacle des pouvoirs mystiques, sa manipulation fait l’objet de divers interdits: ne pas verser de la bière de mil sur l’instrument, ne pas l’enjamber, ne pas le porter sur la tête d’un homme, entre autres. Toutes ces mesures appellent à entourer cet instrument de précautions pour ne pas le détériorer, vu l’importance de son rôle dans les rites funéraires et même dans le quotidien des Lobi. D’ailleurs pour renforcer ces interdits qui entourent l’instrument, il est dit que les calebasses servant de résonateurs servent de protection contre les sorciers qui errent dans les rayons du lieu où il est exécuté. Elles servent aussi de rempart pour les musiciens et danseurs contre tous ceux qui voudraient attenter à leur vie par des pratiques mystiques. Par toutes ces dispositions, les Lobi garantissent non seulement la sauvegarde de leur instrument et confortent le lien qui existe eux et les esprits (génies), essentiels dans leur cosmovision.

Le mythe du musicien

Selon François Bensignor(2005, 125):

Dans la société africaine traditionnelle, schématiquement, la musique accompagne chaque étape de la vie. Elle est le lien de tout acte social. Elle est indissociable des fêtes profanes. Et dans les rituels, elle tient lieu de véhicule de communication entre le monde des vivants et le monde des ancêtres. Le musicien traditionnel initié sert d’intercesseur entre ces deux univers intimement liés. De ce fait, il entretient nécessairement une relation particulière avec les détenteurs des pouvoirs politiques et sociaux.

En contact permanent avec les génies, le musicien (Figure 2) est l’intermédiaire entre les membres de la société et les génies lors des funérailles d’un défunt. Dans ce sens, respecter ou craindre le musicien c’est respecter les génies, condition nécessaire pour bénéficier de l’accord des esprits susceptible de permettre aux musiciens de bénéficier d’un environnement favorable pour des prestations musicales réussies. De fait, la réussite des funérailles chez les Lobi se mesure par la qualité de la performance des musiciens. Il se raconte que lorsque les génies ne sont pas avec un musicien, non seulement il n’est pas inspiré, mais surtout il est vulnérable car dans le cadre de leur activité les tentations malveillantes des adversaires sont fréquentes.

Figure 2. Un joueur du yolon bo.

Figure 2. Un joueur du yolon bo. Photo de Sie Hien


Conclusion

Les Lobi vivent dans un environnement profondément ancré dans leur vision cosmogonique. Toutes les pratiques et comportements sont entourés de nombreux interdits et restrictions dont le sens et les justifications sont en rapport avec leur religion. Et l’art musical, en tant qu’activité essentielle dans la dynamique socioculturelle de ce peuple, épouse les traits des éléments caractéristiques de la relation que les Lobi entretiennent avec leur environnement. L’exemple du yolon bo le xylophone et instrument leader de ce peuple dont ‘existence est entouré de mythes et de nombreux interdits traduit la volonté des dépositaires de la tradition lobi de ne faire de cet instrument, un outil de désagrégation de leur espace vital. En réalité, la musique se présente comme un vecteur de consolidation de cet environnement et par conséquent, sa pratique doit se faire en respect des conditions qui concourent à la pérennisation des valeurs cardinales de cet environnement, c’est-à-dire de la culture lobi dans sa globalité. D’où les nombreux mythes et interdits que l’on rencontre dans l’art musical de ce peuple. Mais au-delà de la dimension purement artistique, l’on peut trouver en ces restrictions, des mesures voire des stratégies mises en œuvre par les Lobi pour protéger et sauvegarder leur environnement bio diversifié. Au total, même si l’absence de théorisation sur la musique ne facilite pas le décryptage de certains comportements musicaux dans la société lobi, on ne peut s’empêcher de penser que les interdits, mythes et autres tabous qui entourent la pratique et la vie du xylophone yolon bo aient des conséquences sur la vie de ce peuple.

L’évocation de la religion, des génies, esprits, de l’agriculture, de l’initiation, de la flore, entre autres dans ces restrictions associée à la musique, renvoie de facto à tout l’environnement où les Lobi vivent et montre donc comment par cette théorie de la loi du silence développée par Niangoran (1981, 28) ce peuple à travers sa musique œuvre à la protection et à la sauvegarde de son environnement multiforme. La concentration de l’essentiel des interdits sur cet instrument et surtout, sur ses répertoires funéraires, dénote de ce que les Lobi savent le rôle des funérailles dans la célébration et l’exaltation des valeurs fondamentales de leur organisation socioculturelle et religieuse. Entourer cet instrument de tant d’attention, servirait de moyen de sauvegarde et de transmission de leur environnement et donc de leur vie.


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